Il me vient parfois à l’esprit que le monde végétal s’y prépare tout doucement à notre départ définitif. Quand je croise le cadariocalyx motorius et ses feuilles articulées par une rotule ; danse la tige, quelle que soit la langue, parlez-lui en chinois, arabe, français, dansez, tambourinez, criez, elle répondra oui en agitant ses fines feuilles oblongues. « Pour ta passerelle, terre très poreuse, sable, roses trémières », écrit Fanfan qui m’a envoyé des graines dans de petits sacs surprises. L’amie Françoise semble connaître la genèse de mon roman. Terre poreuse, la terre qui absorbe, draine entre ses grains les filets d’eau qui s’en vont rejoindre les couches les plus fertiles – tectonique des profondeurs où tout avance par parcelle restaurée. Et tout là-haut, le vent ou l’élan, autre manière de le nommer, qui rassemble et se glisse entre les arbres; on appelle ça la timidité des houppiers quand les arbres se tiennent côte à côte mais ne se touchent pas. On voit bien que c’est un homme qui a qualifié cet espace blanc de timidité. En réalité on pourrait appeler ça croissance utile, car l’arbre a besoin de ses voisins pour vivre. La croissance utile est une croissance où l’on ne piétine pas impunément son voisin. Garder sa croissance est aussi une question de position, de maintien, de tige dressée. Et d’espace entre. Ça reste vrai pour qui écrit aussi. Cet espace qui permet aux détails de se détacher d’un chapitre à l’autre, qui permet aux détails de rompre avec l’ensemble et de trouver leur résolution ailleurs – favoriser les espaces entre. Fidèle lectrice, Fanfan devine, quelles racines de l’écriture en cours ont la coiffe radiculaire, la zone d’élongation en cours de croissance : l’élongation est la tâche la plus difficile, tant de choses à saisir, la dispersion guette mais la dispersion vaut. Le vent toujours. Et la soif d’espace que le temps de l’écriture impose : ce temps dissout où une nouvelle géographie nuit et jour dans le réseau dense et dispersé des connaissances se dessine. Agencer cet indéfiniment divisible qui nous entoure dans une unité possible. Agencer tout en construisant une mémoire actuelle, parce que oui, la mémoire est actuelle, et elle se déverse, se répand dans mon sommeil, jusque dans mes lapsus. Rassembler tout en ressemant, les soucis « que j’espère jaune et orange sur la même fleur », à côté des « belles du jour » et les graines absolument attendrissantes dans la petite pochette de tulle transparente. Une mère adoptive, je vous dis : j’ai trouvé une mère adoptive qui sait m’envoyer la lettre qui sème.
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