Les 10 commandements d’Aurélien Bellanger
A une époque où la dissociation entre l’auteur et l’œuvre est une question qui agite périodiquement la sphère culturelle, voici un objet littéraire qui les enchevêtre dans une mécanique soigneusement huileuse pour raconter l’avènement du Printemps républicain après les attentats de Charlie Hebdo, nommé ici Mouvement du 9 décembre en référence à la loi laïcité de séparation entre société civile et religieuse.
« La véritable bataille ne se fait ni dans les urnes, ni dans les rues, elle est intellectuelle ». Tel est un des points de départ de ce roman-enquête centré sur l’évolution du concept de laïcité depuis les attentats islamistes, devenu au fil du temps dogme inscrit sur la pierre de ce mouvement au point de le faire glisser vers un sectarisme d’extrême droite.
« La République est un vaste organigramme plein d’opportunités à saisir. » Les protagonistes des « derniers jours du parti socialiste » empruntent des traits de caractère à nos contemporains, très facilement identifiables philosophes-influenceurs de plateaux de télévision et réseaux sociaux, dont un philosophe de la ville Taillevent et un philosophe des champs Frayère, sans oublier leurs recrues antiracistes ouvertement racistes, le tout pimenté par les indispensables trahisons dans le théâtre des petits et grands Lorenzaccio du monde contemporain.
« Créteil fait alors figure de laboratoire d’une intégration réussie, plus de cent nationalités vivent autour de son lac artificiel ». C’est de cette ville qu’est originaire Gramond, homme de l’ombre du mouvement. Dégager une stratégie commune depuis les gradins de la fac au théâtre politicien est une entreprise sinueuse jalonnée de quelques transgressions comme la lecture d’une biographie de Maurras et l’équivoque fascination qu’elle exerce sur lui (Françoise Nyssen avait demandé le rappel et la réimpression du Livre de commémorations nationales 2018 après le retrait de la référence Maurras), sans oublier la « question de l’incarnation, le mysticisme des forces de l’esprit » inhérente à toute foi comme le souligne un des protagonistes dans un dialogue à bâtons rompus avec Gramond, ce « Grand maître de son propre Grand Orient ».
La gauche aussi, écrit l’auteur, a « droit à ses paniques morales », avec son idéologie en marche sur ses trottinettes et rollers pendant que l’extrême droite rassemble les catégories populaires.
Pour qui a suivi les interventions du Printemps républicain depuis sa création, c’est un roman astucieux qui rejoue la scène du crime à travers des personnages parfois caricaturaux (mais « le droit à la caricature »), et chronique la disparition du clivage gauche-droite de ces dernières années, sans oublier d’y convier le concepteur du « en même temps » rebaptisé ici le Chanoine.
Aurélien Bellanger annonçait déjà la couleur de ce roman dans sa dernière chronique sur France Culture (que l’on peut écouter en boucle pour mesurer l’étendue du non-dit et apprécier le degré de liberté dans nos radios déjà en 2021) alors qu’il parcourait la Mayenne dont il est originaire à vélo, laissant Paris loin derrière. Entré en littérature avec un essai sur Houellebecq, il a acquis ses lettres de noblesse dans sa quête d’un diagnostic de notre temps, en particulier autour de figures emblématiques. Dans « Les derniers jours du parti socialiste », il dépoussière la scène politique dans un corps à corps entre réflexe idéologique, fantasme et vie réelle, le tout avec une ironie mordante pas seulement cathartique mais véritablement épiphanique et réflexive, voire parfois sur un fil à peine identifiable tant aujourd’hui le tragique réel se mêle à l’inimaginable.
On saluera le découpage de chaque chapitre en une suite de fragments motivés par une concrétion de faits et de situations, le tout étiqueté d’un titre évocateur. Il s’agit de nous conduire dans cette fable hyperréaliste au grès de l’histoire qui s’écrit à la porte des nécessaires questions brûlantes de l’époque, sans oublier le facteur humain ni le caractère fragmentaire de l’information en petites particules au sein du réacteur atomique médiatique de la boîte noire élonmuskienne. C’est un livre aux élans borgésiens qui interroge aussi la question de la foi, l’aveuglement mais également le caractère moteur de la foi. A lire alors que « l’Assemblée n’est plus que contre-courants et remous incontrôlables » pour reprendre François Mauriac qui poursuivait dans ses fameux bloc-notes en novembre 55 : « La division n’affecte pas seulement les partis et les groupes, elle est dans les êtres.»
Un extrait qui fatalement renvoie à l’actualité :
« Le Mouvement du 9 décembre, ni parti politique, ni association, ni même lobby, reste difficile à cerner. Il faudrait peut-être utiliser, pour le définir, le mot un peu désuet de confrérie. Ses membres se cooptent et partagent, incontestablement, des valeurs communes, bien qu’ils se répartissent sur un spectre politique très large allant de l’anarchisme, issu de « l’esprit Charlie », au républicanisme un peu étriqué des laïcards. Tous les bords et tous les milieux sont représentés. Il y a des fils d’ouvriers et des grands bourgeois, des militants syndicaux et des grands patrons, des rescapés des années noires algériennes ou de la guerre civile libanaise, haïssant l’islamisme dans leur chair, comme des militants souverainistes fascinés par la théorie du grand remplacement. »
PS : Porté par les évènements, Aurélien Bellanger semble se diriger vers une suite qui crochète par “Stanislas”. Je pourrais lui fournir quelques anecdotes croustillantes sur 20 ans de vie, depuis le pinson des îles (surnom de mon petit frère par le prof en cours de philo) aux règles « extraterritoriales » du directeur, sans oublier les cours d’éthique contre les IVG en prépa médecine actuellement dispensés.
Note : Photo en illustration : tableau de Valentine Henriette Prax actuellement exposé au musée Zadkine
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